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Les Sports Modernes, 8e Année, IIe Série, No. 2, juin 1905
Madame Camille Du Gast
DE temps à autre, à des intervalles irréguliers, les journaux publient une courte, laconique, mais éloquente information, libellée comme suit, ou à peu près :
Marseille.
Le paquebot X… vient d’entrer dans le port ; son commandant a déclaré qu’il avait par tant de degrés de longitude et tant de degrés de latitude rencontré le canot automobile Camille et qu’ayant en vain essayé de lui faire supporter la remorque, la mer étant mauvaise, il l’avait abandonné. Le Camille est parti à la dérive dans la direction de l’ouest.
Et chaque fois ces quelques mots font surgir le souvenir épouvantable des péripéties dramatiques — et qui faillirent être tragiques — de l’inoubliable course des canots automobiles entre Alger et Toulon pour la traversée de la Méditerranée.
Des sept concurrents qui se mirent audacieusement en ligne, celui qui fut soumis au drame le plus poignant et le plus retentissant, fut ce Camille, aujourd’hui transformé en vaisseau fantôme, minuscule mais robuste coque d’acier que l’on voit un peu partout dans la Méditerranée, frôlant les côtes, coupant les routes des paquebots, se montrant dans sa robe bleue aux alentours des vaisseaux de haut bord, en compagnie de marsouins et de souffleurs, puis disparaissant, mystérieux et inquiétant, — les marins ont la superstition des épaves, — pour reparaître et re disparaitre.
Et lorsqu’ils le voient, si petit mais si joli dans sa belle ligne de squale métallique, les loups de mer sourient, railleurs, puis, lorsqu’ils se rappellent qu’une femme eut le courage et l’énergie d ‚entreprendre, sur ce petit esquif dont les minces dimensions les amusent, la traversée de la Méditerranée, la mer traîtresse, capricieuse et méchante, ils s’émotionnent et admirent celle qui sut donner, pour le plaisir du sport et par affection pour une industrie nouvelle à laquelle elle croit, une si magnifique preuve de son intrépidité.
Cette femme est Madame Camille du Gast, à qui les hommes de sport, faisant quelque jour trêve à de faciles et mesquines ironies, sauront rendre justice pour ses extraordinaires exemples de courage, d’énergie et de dévouement aux choses qu’ils aiment.
Celui qui écrit ces lignes a pratiqué ou fréquenté à peu près tous ces sports, ceux de violence et ceux d’adresse, ceux qui comportent des dangers et des périls, et ceux qui sont anodins ; il a fait connaissance avec les hommes les plus réputés pour leur bravoure spontanée ou pour un sang-froid raisonné ; il les a vus à l’œuvre, les a admirés, applaudis, impressionné par ce qu’a d’infiniment noble tout geste de vaillance…, et ce ne sera diminuer aucun d’eux que dire que tout leur courage ne fut jamais supérieur à celui de la femme étonnante qu’est Madame Camille du Gast.
Grande, sculpturale, blonde, les yeux bleus, — du bleu profond des braves, — les traits fins, souriante et décidée, ayant petites mains et petits pieds, c’est une femme de grand cœur, alliant toutes les énergies à toutes les bontés. Lorsque, dans une cérémonie d’un éclat charmant et original, elle fit, en Seine, baptiser le canot automobile auquel elle devait confier ses chances dans la course Alger-Toulon, le chanoine qui, en l’absence de Mgr Le Nordez, donna la bénédiction, dit, en parlant d’elle, dans l’allocution qu’il prononça, « qu’elle devait être offerte en exemple à toutes les femmes pour les précieuses et multiples leçons d’énergie, de décision et d’évidente utilité qu’elle donnait, alors qu’il lui était si facile, la plus banale, la plus insignifiante et la plus futile des vies mondaines ».
Madame du Gast est, en effet, d’une rare énergie, et par son extraordinaire et admirable vigueur morale elle a stupéfié et fait l’admiration la plus vraie et la plus absolue de tous les officiers des croiseurs et des contre-torpilleurs à qui l’amiral Gourdon, chef de l’escadre de la Méditerranée, avait confié le salut des concurrents d’Alger-Toulon.
L’existence de Madame du Gast n’est qu’une série ininterrompue d’actes intrépides et de gestes de bonté ; il est permis de parler des premiers ; la discrétion est la façon de respecter les seconds.
Sportswoman accomplie, — il n’en est certainement pas de plus complète, — elle a pratiqué avec succès et avec éclat tous les sports les plus rapides, les plus violents, les plus pénibles et les plus élégants.
Alpiniste distinguée, elle a accompli les ascensions les plus difficiles et les plus audacieuses, par les glaciers les plus fameux ou par les pointes les plus abruptes ; les sports de glace l’ont captivée; elle a connu les sensations grisantes du toboggan qui court en descente échevelée sur les pentes neigeuses, et le balancement léger et harmonieux des corps glissant sur la glace sous l’attaque des patins d’acier; excursionniste, elle a parcouru, très au loin dans le nord, la Suède et la Norvège.
Escrimeuse d’une main souple et sûre, elle roule le contre de quarte avec vitesse et précision ; manie le fleuret et l’épée.
Manie aussi la carabine et le pistolet, car elle est une passionnée des sports cynégétiques. A chassé à pied et à cheva l; à cheval énormément, ayant pour la chasse à courre une active prédilection. Elle y a d’ailleurs accompli sa prouesse en servant au couteau, et d’une main qui ne tremblait pas, un superbe sanglier.
Chasseresse, Madame Camille du Gast est par conséquent amazone; elle monte, du reste, dans la perfection, avec l’habileté d’une écuyère et la solidité d’un cavalier ; a deux chevaux de selle dont elle raffole, le noir Sigurd et l’alezane Hieda, avec lesquels elle trotte, galope par toutes les allées du bois de Boulogne et franchit les obstacles du Tir aux Pigeons.
Inévitablement, les sports modernes devaient faire la conquête de cette femme énergique : l’aérostation, l’automobile et le canot automobile l’ont tour à tour captivée.
Elle s’est, en aérostation, livrée à des expériences que peu d’hommes ont eu le courage de tenter; si ascensionner en ballon libre est déjà empreint d’une certaine crânerie, faire, à cinq ou six cents mètres d’altitude, une descente en parachute, est un acte d’héroïsme.
C’est en 1895 que Madame du Gast fit par deux fois des essais de descente en parachute qui faillirent être mortels. Elle les fit en compagnie du fameux aéronaute Capazza ; toutes deux eurent lieu à Paris ; la première tentative fut particulièrement émouvante.
Capazza pilotait l’aérostat qui, à sa nacelle, enlevait, suspendu par une corde, le parachute fermé qui portait Madame du Gast. Lorsque le moment de couper la corde fut arrivé, Capazza eut peur pour l’intrépide femme, et, d’une voix étranglée, la pria de renoncer à son projet.
« C’est le moment de couper la corde, répondit-elle ; coupez-la ! »
Capazza refusa ; et, dans le vide, à plusieurs centaines de mètres dans les airs, une lutte s’engagea entre Madame du Gast, qui tenait à la chute, et Capazza, qui regrettait de s’être prêté à l’essai.
Madame du Gast eut gain de cause.
« Coupez, dit-elle, ou je commets une imprudence ! »
Une imprudence ! Le mot était charmant dans la circonstance. Capazza tira son couteau, et, lentement, la lame cisaille le câble qui retenait le parachute. L’atterrissage fut des plus mouvementés ; après une descente ‚vertigineuse, l’appareil s’ouvrit sous la pression de l’air et descendit sur Paris, gagna le faubourg Saint-Antoine, où, ramassé par le vent, il fit, sur les maisons, une périlleuse excursion.
« La nacelle jouait avec les cheminées comme une boule avec des quilles », déclara Madame du Gast, qui prit… terre sur un toit.
Et le fait est que ce jour-là, les Parisiens du faubourg Saint-Antoine purent croire à quelque phénomène céleste ; il leur plut des briques sur la tête.
Mise en goût, Madame Camille du Gast renouvela sa tentative, en 1895 toujours. Elle descendit, cette fois, dans l’ile Rothschild ; il s’en fallut de quelques mètres qu’elle ne tombât en Seine et ne s’y noyât.
Beaucoup de femmes conduisent aujourd’hui en automobile : Madame du Gast s’est adonnée à la locomotion mécanique dès les premières manifestations de ce sport.
Tenant le volant avec une rare précision et un admirable sang-froid, Madame du Gast a couru, et couru avec succès. Sa plus belle performance, elle l’a accomplie dans la course Paris-Madrid.
Partie une des dernières, elle avait passé un à un la plupart des concurrents et venait, en arrivant à Angoulême, de se classer dans le lot des vainqueurs ayant réalisé entre Paris et Tours la plus grande vitesse de tous, lorsqu’elle aperçut, au bord de la route, la voiture brisée d’un ses rivaux, Stead, qui, dans un état désespéré, reposait, sanglant, au pied d’un arbre.
Elle s’arrête, abandonne la course, renonce à la gloire du succès et prodigue au blessé des soins auxquels il dut probablement d’échapper à la mort.
Le sport qui, le dernier, l’a conquise, est le motoyachting.
Elle y débuta en 1904, dans des courses qui furent données en Seine, dans le bassin de Juvisy ; elle se montra barreuse adroite et décidée dans les épreuves du meeting de Monaco, cette année ; ce qu’il y avait de hardi à tenter, la course du Matin Alger-Toulon le décida, et elle s’engagea.
Seconde dans la première étape Alger-Mahon, c’est elle qui semble bien être allée le plus loin dans la seconde étape Mahon-Toulon. C’est indiscutablement son bateau le Camille qui, en ligne droite, sur la traversée Alger-Toulon, a fait le plus long parcours en moins de temps ; et c’est à elle, s’il revient à quelqu’un, que doit revenir le prix de la Coupe de la Méditerranée.
Pris par la tempête, Madame du Gast et son vaillant compagnon de lutte, le lieutenant de vaisseau Menier, durent abandonner, mis en détresse par la défaillance physique de leur équipage. Les journaux ont alors conté l’émouvant sauvetage, par le Kléber, de cette femme héroïque, dont le premier mot fut un touchant « merci ! » aux matelots du croiseur, et le second une boutade, la suivante :
« Quel bon sujet d’article pour les journalistes ! »
Femme d’esprit, musicienne incomparable, lettrée et sportswoman, Madame du Gast avait droit à la place d’honneur dans la galerie mondaine des Sports modernes.
FRANTZ REICHEL.
Les photos.
Page 4. Photo Eug. Pirou. Mme CAMILLE DU GAST
Page 5. ALGER-TOULON – LE SAUVETAGE DE MME DU GAST, EN MÉDITERRANÉE, PAR L’ÉQUIPAGE DU CROISEUR CUIRASSÉ Kléber





